La coopérative ne craint pas la crise
La coopérative, structure de l’économie sociale, s’impose de plus en plus comme une alternative crédible à l’entreprise capitaliste classique. Et ce d’autant plus que dans le contexte actuel de crise caractérisé par la panne de croissance que connaissent de nombreux pays dans le monde, le recul de l’emploi pérenne, l’aggravation du chômage et l’instabilité des marchés financiers.
Ce contexte n’a pas altéré la solidité et l’efficacité économique et sociale des coopératives, qui sont en plein essor, notamment grâce aux valeurs et aux principes d’économie sociale et solidaire qui le façonnent et qui l’animent. Malgré la crise, le taux de survie des coopératives est plus élevé que celui des firmes capitalistes classiques(1).
Dans le monde, on estime à près de 2 millions, le nombre de coopératives(2) employant prés de 100 millions de personnes. Elles sont présentes dans 65 pays, avec une tendance forte en Asie et en Afrique, et dans tous les secteurs de l’activité économique (3).
La présence sectorielle des coopératives
En 2014, le SIC (4) révèle pour sa part que le nombre de coopératives dans le monde serait de 2,6 millions avec 1 milliard de membres et 250 millions d’emplois. Elles représentent 12 % de l’emploi total dans l’ensemble des pays du G20 et 3 000 milliards de dollars de revenus annuels. Les 300 plus grandes coopératives au niveau mondial totalisent à elles seules un revenu de 2 200 milliards de dollars, soit l’équivalent du PIB du Brésil (5). La France, l’un des pays leaders en Europe, compte 23 000 coopératives employant plus d’un million de personnes, soit 4,5 % de l’emploi salarié total, avec un chiffre d’affaires cumulé de 298,7 milliards d’euros en 2012 et 24,4 millions de membres (6).
Au regard de ces chiffres, leur rôle économique et social est aujourd’hui indéniable. Elles présentent en outre l’avantage de placer l’homme au cœur de leurs activités en lui offrant des valeurs d’entraide, de responsabilité personnelle, de démocratie, d’égalité, d’équité et de solidarité et de propriété collective. Elles amortissent enfin les chocs des crises des marchés financiers en offrant une sortie salutaire aux salariés des entreprises classiques en difficultés par la possibilité concrète de rachat de leur entreprise sous un statut coopératif. En somme, le but des coopératives est pluriel. Il vise non seulement la satisfaction des aspirations économiques des coopérateurs, mais aussi leurs attentes culturelles et sociales, voire humaines.
En interne, les coopératives proposent un mode de gouvernance générant des coûts de transaction inferieurs à ceux induits par le recours au marché pour innover, fabriquer, et distribuer ses produits. L’internalisation des activités dans une coopérative n’est pas problématique comme dans les entreprises classiques. Ces dernières ont tendance, aujourd’hui, au nom de stratégies d’agilité et de maitrise des coûts, à prioriser le recours aux marchés en se délestant, par des mesures d’externalisation, de pans entiers de leurs activités de R&D, de production, de logistique, de marketing, de recrutement, de gestion comptable… De nombreuses entreprises classiques sont donc en opposition avec la théorie sur la nature de la firme de Coase de 1937 (7). Selon Coase, l’entreprise est un mode alternatif aux marchés dans l’allocation des ressources. Elle se distingue des marchés par sa capacité intrinsèque à réaliser des transactions en internes (R&D, production, logistique, marketing…) à un coût (d’organisation) moindre que celui supporté sur les marchés (coût de transaction). Cet avantage comparatif trouve son origine dans la réduction en interne du nombre de contrats nécessaires à l’exécution de l’acte de création de richesse et dans un mode de coordination et de contrôle de l’allocation des ressources plus efficient. La coordination et le contrôle sont assurés par l’entrepreneur au sens du « propriétaire proudhonien » (8) de l’entreprise. L’efficience dans l’allocation des ressources est donc tributaire du choix d’un mode et de mécanismes de gouvernance de l’entreprise favorisant l’efficience(9).
La gouvernance coopérative, en départageant l’exercice et le contrôle du pouvoir (10) et en cherchant en permanence les meilleurs équilibres entre les différents pouvoirs composants une démocratie élective (11), n’offre-t-elle pas cet avantage d’efficience dans l’allocation des ressources ? Les principes coopératifs, particulièrement le principe de la « double qualité » – les acteurs internes sont à la fois salariés et coopérateurs (12) – constituent des mécanismes dotant la coopérative d’un avantage comparatif générateur de transactions en interne à un coût inférieur à celui induit par le recours aux marchés ou à celui supporté par une firme classique.
Ces mécanismes (notamment le double statut et la régulation des comportements par des normes relationnelles, telles que la proximité, la responsabilité personnelle, l’implication économique, l’équité, le support, l’égalité…) en atténuant sensiblement l’asymétrie d’information et les divergences d’intérêts, et en atténuant donc le besoin accru de contrôle et de suivi d’exécution des taches allouées (13), améliorent sans nul doute l’efficience dans l’allocation des ressources, amoindrissent les coûts d’organisation de la coopérative et conforte, in fine, son efficacité opérationnelle (9).
La gouvernance coopérative explique la solidité des coopératives face aux chocs des crises dans lesquelles se débat l’économie mondiale et leur pérennité plus élevée que celle de l’entreprise capitaliste classique. Une étude réalisée au Québec en 2008 a ainsi révélé que les coopératives affichent un taux de survie largement supérieur à celui des entreprises classiques. Quelque 62 % des coopératives existent toujours cinq ans après leur création et 44 % après 10 ans. Ces proportions sont pour les entreprises classiques de 35% et 20 % (1). En France, certaines n’ont même plus besoin de prouver leur pérennité : la coopérative Scael a déjà soufflé ses 100 bougies.
Bibliographie
(1) Je Coop, 2012
(2) Moniteur coopératif global, 2014
(3) Pauline Green : « On assiste à une renaissances des coopératives dans le monde », L’Humanité, octobre 2014
(4) Sommet international des cooperatives, Groupe CNW Ltée 2015, octobre 2014
(5) Moniteur mondial des coopératives, 2014
(6) Coop Fr, panorama édition 2014
(7) Coase R. H., 1937, « La nature de la firme », traduit en francais dans le n°1 du Volume 2 de la Revue française d’économie, 1987
(8) Bonet L., 2010, « Proudhon Coase : La propriété de la firme », Recma n° 317
(9) Sadi N-E & Moulin F., 2014, « Gouvernance coopérative : un éclairage théorique », Recma, n° 333
(10) Schwab, 2007
(11) IFA, 2006, « Coopératives et Mutuelles : un gouvernement d entreprise original »
(12) Hiez D., 2006, « Le coopérateur ouvrier ou la signification du principe de double qualité dans les Scoop », Recma, n°209
(13) Cartier J-P., Naszalyi P. & Pigé B., 2012, « Organisation de l économie sociale et solidaire : quelle théorie de la gouvernance ? », MEESS, Identités plurielles et spécificités, 47-69