C’était le 28 avril dernier : le centre hospitalier Yves Le Foll, à Saint-Brieuc, se connectait avec succès à quatre établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) des Côtes-d’Armor et réalisait douze téléconsultations (lire encadré) de dermatologie en l’espace de deux heures et demie. Une première, qui marquait le lancement de Téléhpad, un programme de télémédecine en Ehpad, initié par la Mutualité Française Ssam (services de soins et d’accompagnement mutualistes) Côtes-d’Armor.
Le 5 mai, l’union territoriale d’Isère inaugurait son second Ehpad équipé d’une salle de télémédecine. Deux autres établissements mutualistes seront aménagés d’ici la fin de l’année dans le cadre du programme Télémut 38. Enfin, dans le Puy-de-Dôme, la Mutualité Française Ssam a lancé, en 2014, l’outil Télém’EHbox, destiné à accompagner les Ehpad qui le souhaitent dans le déploiement de la télémédecine.
Rompre l’isolement
Ces trois réalisations illustrent le dynamisme des acteurs mutualistes dans le domaine de la télémédecine gériatrique. Quel en est l’enjeu ? L’installation dans les Ehpad d’équipements permettant de réaliser des consultations à distance vise à garantir l’accès aux soins et aux spécialistes, en milieu rural, pour les personnes âgées peu mobiles. En pratique, il s’agit de rapprocher les Ehpad de l’expertise des centres hospitaliers, limiter le recours aux urgences et favoriser le maintien à domicile ou en résidence.
L’objectif est, à court terme, de permettre l’accès de la salle de télémédecine à tous les habitants du bassin de vie.
« Les personnes âgées sont particulièrement vulnérables, explique Michelle Dange, présidente de Générations mutualistes, la tête de réseau des Ehpad mutualistes. Grâce à la téléconsultation, on peut limiter leurs déplacements et les hospitalisations, et réduire les effets iatrogènes : infections nosocomiales, dénutrition, décompensation. » L’Ehpad agit alors comme centre de premier recours de proximité en milieu rural, non seulement pour les résidents mais aussi pour les populations locales. Car l’objectif est, à court terme, de permettre l’accès de la salle de télémédecine à tous les habitants du bassin de vie.
Des équipes motivées
Ce décloisonnement des secteurs sanitaires (centres hospitaliers) et médico-sociaux (Ehpad) passe par le renforcement de l’expertise gériatrique des Ehpad : « Notre but est de soutenir le travail des équipes et de les associer à un projet innovant et motivant, en les formant à la téléconsultation », explique le Dr Pierre Espinoza, coordonnateur du programme Téléhpad, dans les Côtes-d’Armor. C’est également un atout pour faciliter la mission et limiter les déplacements du médecin coordonnateur, chargé de suivre plusieurs Ehpad, souvent éloignés les uns des autres. Pour le Dr Espinoza, il s’agit plus largement de « rompre l’isolement des généralistes et des infirmières ». « Présent lors de la consultation auprès du patient, le médecin généraliste échange directement avec le spécialiste et relaie la prescription auprès des infirmières », précise-t-il.
La télémédecine apparaît comme un des moyens de lutte contre les déserts médicaux.
Dès lors, la télémédecine apparaît comme un des moyens de lutte contre les déserts médicaux. « L’Ehpad devient une structure pivot », explique le Dr Espinoza. Dans les Côtes-d’Armor, le programme Téléhpad repose sur un véritable maillage de proximité, avec la participation de six Ehpad, un établissement de soins de suite et de réadaptation (SSR), deux hôpitaux généraux et deux établissements psychiatriques. En tout, le réseau couvre cinq spécialités (gériatrie, psychiatrie, dermatologie, suivi des plaies chroniques et cardiologie) « correspondant aux besoins des patients et aux attentes des généralistes », précise ce professionnel de santé. Une première étape « avant d’élargir à des consultations de rhumatologie, néphrologie, urologie, douleur et cancérologie ».
Quel modèle économique ?
La télémédecine pourrait connaître un essor considérable dans les années à venir. C’est l’ambition de Téléhpad qui vise pas moins de 100 actes de télémédecine par mois, dès le mois de septembre, dans les Côtes-d’Armor. « On espère étendre le dispositif à 80 Ehpad à l’horizon 2018-2019 », affirme le Dr Espinoza.
Pour y parvenir, ce médecin travaille, avec la Mutualité Française Côtes d’Armor, à « la modélisation du déploiement sur deux plans : les prérequis techniques et les prérequis organisationnels ». Pour ce précurseur de la télémédecine, qui a initié et développé le dispositif Télégéria en Ile-de-France, « l’implication de tous les acteurs concernés et la confiance des patients seront les facteurs-clés de réussite ».
Quel que soit le projet de télémédecine développé, les finances demeurent le nerf de la guerre. « Les trois programmes (NDLR : Télém’Ehpad, Téléhpad et Télémut 38) font l’objet d’un soutien de la Mutualité Française à travers un fonds mutualistes d’aide au développement et à l’innovation, ainsi que de l’appui de Générations mutualistes », précise Michelle Dange. Ils bénéficient également d’un soutien des agences régionales de santé (ARS) de Bretagne et du Puy-de-Dôme.
Toutefois, à ce jour, les actes de télémédecine ne sont toujours pas remboursés par l’assurance maladie. De fait, il n’existe pas encore de données fiables autour de l’efficience économique de cette pratique médicale, « ce qui constitue un frein à la “nomenclaturation” et à la tarification de l’acte de télémédecine », explique Michelle Dange. Une des priorités sera donc d’établir le meilleur modèle économique applicable au projet, en « mesurant les gains pour les acteurs et les patients : diminution des coûts de transport, nombre de passages aux urgences et durée des hospitalisations ».