Coopératives : la participation des collectivités dans des Scic progresse
Les sociétés coopératives d’intérêt collectif (Scic) sont des coopératives un peu particulières, qui associent au moins trois catégories de sociétaires – des salariés et/ou des producteurs (agriculteurs, artisans…), des bénéficiaires (clients, usagers…) et des partenaires, éventuellement des collectivités locales.
La Scic peut-elle être l' »entreprise de demain » ? L’Inter-Réseaux Scic, centre de ressources animé par la Confédération générale des Scop (sociétés coopératives et participatives) et la Fédération nationale des Cuma (coopératives d’utilisation de matériel agricole), s’est posé la question le 4 février 2016 dans le cadre de son « Agora des Scic ».
« Nos territoires cherchent de nouveaux modèles de développement », a introduit Patrick Lenancker, président de la CG Scop. Derrière le statut juridique, la Scic, par son approche multi-partenariale et son ancrage territorial souvent fort, représenterait cet état d’esprit de l' »entreprendre autrement » cher à la loi du 31 juillet 2014 sur l’économie sociale et solidaire (ESS).
- Le plafond de participation pour les collectivités désormais à 50%
Cette loi a d’ailleurs précisé et ajusté le statut des Scic, initialement formalisé en 2001. Le plafond de participation pour les collectivités est ainsi passé de 20 à 50%. Selon l’Inter-Réseaux Scic, la part moyenne de la participation des collectivités, autour de 12% avant la loi, n’aurait pas sensiblement augmenté depuis.
En revanche, l’implication des collectivités progresse à la mesure du développement des Scic, dont le nombre a doublé depuis 2012. L’Inter-Réseaux Scic en recense aujourd’hui 525, dont la moitié avec la présence d’une ou plusieurs collectivités au capital. Les communes et les groupements de communes sont les plus engagés. Suite à la loi portant Nouvelle Organisation territoriale de la République (Notr), les départements devraient être amenés à limiter leur prise de participation à des activités menées dans leurs domaines de compétence – l’action sociale et la famille notamment. Quant aux régions, leur implication, encore faible, pourrait se renforcer dans les prochaines années, du fait de leur volonté d’expérimenter de nouvelles formes de soutien au développement économique et à l’emploi.
- L’ombre de la suspicion de conflit d’intérêt
« Les collectivités locales peuvent être aussi parties prenantes sans être au capital », ajoute Jacques Cottereau, vice-président de la CG Scop. C’est le cas pour la Scic « L’autre bout du monde » qui gère une péniche restaurant-salle de spectacles-vente de produits biologiques à Dijon. « On est resté dans un modèle classique bien confortable de subvention », précise Benjamin Magnen, président directeur général de la Scic. Ayant bénéficié du soutien de la région au démarrage, l’entreprise fonctionne aujourd’hui grâce à des crédits d’aide à la culture – de la ville, du département et de l’Etat – qui représentent 30% de son budget.
Si l’absence de prise de participation des collectivités peut s’avérer plus « confortable » pour ces dernières comme pour les porteurs de projets, c’est en partie parce que les équipes, parfois les majorités, changent. C’est surtout en raison des risques de suspicion de conflit d’intérêt. Le problème s’est posé pour la Scic Bois bocage énergie (dont nous parlions dans notre article du 18 avril 2012, voir ci-contre). Si une collectivité est bien autorisée à contractualiser avec une Scic dont elle est membre, tant que les règles de mise en concurrence sont respectées, des élus représentant leur collectivité dans la Scic ont été « accusés d’être à la fois juge et partie », raconte Laurent Nevoux, coordinateur de la Scic Bois bocage énergie. « Des membres fondateurs ont été obligés de sortir », ajoute-t-il.
- Une « alternative pour continuer à asseoir une solidarité »
Cette difficulté n’est pas ressentie de la même manière par tous. « Les collectivités sont présentes à hauteur de 20%. Cela ne nous empêche pas d’avoir avec elles des relations commerciales », témoigne Stéphane Montuzet, de la Scic Interstices Sud Aquitaine. Dans ce projet de couveuse d’activités et d’entreprises, les élus ont plutôt vu la possibilité de développer une « alternative pour continuer à asseoir une solidarité », ajoute Stéphane Montuzet.
La question de la présence de la collectivité dans une Scic paraît donc se présenter différemment selon les secteurs d’activité. Au 31 décembre 2014, les activités de service étaient les plus représentées (57%). Autres domaines investis par les Scic : l’industrie (6%), le commerce (6%), l’énergie et l’environnement (5%), l’éducation, la santé et l’action sociale (5%), la construction (3%) et l’agriculture (2%).
- Concrétiser la notion de « coconstruction »
Pour Patrick Lenancker, c’est surtout la nature du projet qui mène au choix de la Scic : « lorsqu’un projet est collectif au départ, la Scic permet de poursuivre ce travail multi-partenarial dans la gouvernance » de l’entreprise qui est créée. A la différence de l’économie mixte, la collectivité n’a alors pas plus la main qu’un autre membre – selon le principe coopératif « une personne, une voix » – ou qu’une autre catégorie de sociétaire – lorsque les votes sont pondérés par « collège ».
« Il n’est pas toujours facile pour une collectivité d’être partie prenante d’un projet si elle n’est pas maître d’ouvrage », souligne Laurence Hugues, adjointe au maire du 3e arrondissement de Paris. Malgré ses réticences « pour des raisons financières et juridiques »,la ville de Paris réfléchit à la possibilité de prendre part à certains projets, au-delà des formes de soutien traditionnelles.
Si cette perspective peut effrayer, elle peut s’avérer aussi séduisante pour les collectivités qui cherchent à donner une réalité plus tangible à la notion – de plus en plus revendiquée, mais qui reste souvent abstraite – de « coconstruction » des politiques publiques avec les citoyens.
- Coopération conflictuelle
« C’est un outil d’implication des citoyens », confirme Thierry du Bouëtiez, conseiller spécial de la commissaire générale à l’égalité du territoire (CGET). Selon lui, « ce statut permet de donner vie au concept d’entreprise de territoire », selon une logique d' »hybridation des modes de financement et de fonctionnement [qui] pourrait être bien adaptée aux quartiers politique de la ville ».
L’expérience de plusieurs Scic agricoles démontre, pour Stéphane Gérard, président de la FNCuma, que la Scic peut être un « lieu d’échange » particulièrement utile au développement du territoire. Des Scic ont ainsi permis d’instaurer le dialogue entre de petits bouchers et de moyennes et grandes surfaces, de préserver l’abattage de proximité, donc l’élevage en montagne et, in fine, le tourisme. « C’est la coopération conflictuelle », résume Alix Margado, délégué Scic à la CG Scop. Si le fonctionnement d’une Scic paraît complexe, c’est parce qu’il oblige ses membres à discuter d’intérêts contradictoires et à trouver des solutions pour avancer collectivement avec, en toile de fond, l’intérêt commun du territoire. Cette exigence est, selon ses défenseurs, gage de pérennité.
- La Caisse des Dépôts pourra entrer au capital de Scic
Convaincues de l’intérêt du modèle, quelque 200 personnes ont déjà signé le « manifeste des Scic » diffusé par l’Inter-Réseaux Scic. Ce dernier, ainsi que les treize unions régionales des Scop, se tiennent à disposition des porteurs de projet pour les accompagner.
Le 15 décembre 2015, la Caisse des Dépôts a également élargi sa doctrine d’investissement en faveur des Scic. Via ses directions régionales, l’établissement public pourra désormais prendre des parts dans des projets, outre les crédits d’études et d’ingénierie qu’il peut accorder. Au-delà du montage juridique, pour Serge Bergamelli, directeur adjoint des investissements et du développement local de la Caisse des Dépôts, « c’est le projet qui est intéressant ». Et, si l’objectif de rentabilité n’est pas la priorité pour ces projets, ces derniers devront « au moins flotter ».
Source : Localtis