Le monde associatif français victime des coupes budgétaires

Pour les structures les plus dépendantes des subventions, la seule issue consiste alors à aller au tribunal, comme une entreprise classique qui dépose son bilan.

le-monde-economie

 

A Savigny-sur-Orge (Essonne), les animateurs de la MJC en ont gros sur le cœur. Il y a dix mois, pour les 50 ans de leur association, le maire (UMP) fraîchement élu Eric Mehlhorn avait prononcé un vibrant discours à la gloire de cette « belle aventure », ce lieu de partage « loué et reconnu ». Lundi 13 avril, au conseil municipal, le même maire a annoncé la suppression de toutes les subventions attribuées à la MJC. Autrement dit sa fermeture d’ici à septembre. « Cela signifie plus de 20 licenciements », se désespère le directeur Didier Michoud.

Le maire n’a rien contre la MJC, a-t-il expliqué. Mais la commune est trop endettée, et l’Etat a réduit sa dotation. M. Mehlhorn a donc choisi de tailler dans les dépenses. Outre la MJC, Savigny va fermer son centre de vacances de Vendée, sa crèche familiale, réduire les subventions aux maisons de quartier… 

Ce type d’arbitrages violents, la MJC de Savigny n’est pas la seule association à en être victime. La MJC de Chilly-Mazarin, dans le même département, va, elle aussi, fermer ses portes début octobre. De Tours à Auxerre, de nombreuses municipalités ont choisi, pour boucler leur budget 2015, de réduire de 3 %, 5 %, voire de 10 %, les aides aux associations. A Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire), la baisse atteint même 25 %. Pour les structures les plus dépendantes des subventions, notamment dans l’action sociale ou la culture, c’est parfois le coup de grâce. La seule issue consiste alors à aller au tribunal, comme une entreprise classique qui dépose son bilan.
«  En ce moment, cela tombe de partout »

Les chiffres sont frappants : au premier trimestre, 240 associations ont connu un redressement ou une liquidation judiciaire. « C’est 25 % de plus qu’au premier trimestre de 2014, et 52 % de plus qu’au début 2013 », commente Thierry Millon, le directeur des études du cabinet Altarès. Dernier exemple en date : Erai, l’association chargée de la promotion des entreprises de la région Rhône-Alpes à l’étranger (126 salariés), gérée depuis mardi par un administrateur provisoire.

« En ce moment, cela tombe de partout », confirme Eric Wendels, le directeur de la Fédération des familles rurales du Gard. Lui-même vient de faire placer en redressement son association, qui gère des crèches et réalise des chantiers d’insertion. Elle comptait 139 salariés fin 2014. « Aujourd’hui, j’ai dû ramener l’effectif à 89 personnes », regrette-t-il. Ces dernières années, la Fédération avait survécu au gel des subventions en rognant sur toutes les dépenses et en ne payant plus certaines charges. En 2015, la baisse des aides l’a obligée à prendre des mesures plus drastiques.

Que se passe-t-il ? En moyenne, les associations françaises vivent à 50 % de subventions. Or depuis plusieurs années, « l’Etat se désengage et concentre ses aides sur les plus grosses structures », analyse Didier Minot, porte-parole du Collectif des associations citoyennes. Les collectivités locales avaient jusqu’à présent compensé ce recul. Le monde associatif, qui emploie 1,8 million de personnes, a ainsi pu maintenir son effectif global. Mais avec la crise des finances publiques, les premiers ministres Jean-Marc Ayrault puis Manuel Valls ont décidé de geler, puis de réduire nettement la dotation de fonctionnement attribuée aux collectivités. Elle a été rabotée de 1,5 milliard d’euros en 2014, et va encore diminuer de 3,7 milliards en 2015.

« Cette baisse de la dotation de l’Etat amène les collectivités à serrer leurs budgets, et pour une bonne partie d’entre elles à réduire les subventions », constate Nadia Bellaoui, présidente du Mouvement associatif. D’autant que de nombreux maires ont été élus sur la promesse qu’ils n’augmenteraient pas les impôts. La réforme territoriale a aussi incité certaines collectivités à serrer les cordons de la bourse. « Avant, les subventions dépendaient d’élus qui connaissaient notre travail, peste le directeur d’une association d’insertion. A présent, ce sont des technocrates des communautés de communes ou des conseils régionaux qui décident, et ils nous asphyxient ! »

Les associations les moins bien gérées sont les premières à tomber. « La baisse des aides amplifie souvent des problèmes antérieurs, juge le consultant Guy Kugler, du Samu associatif. Parfois, il n’y a parfois pas de projet clair, les statuts sont flous… »

Les difficultés actuelles en annoncent d’autres. Après les communes, les nouveaux élus des départements vont bientôt voter eux aussi leurs budgets, et prendre des mesures douloureuses. « Mais le plus dur arrivera en 2016, avec la nouvelle baisse des dotations de l’Etat, anticipe M. Minot. Au début, on trouve des économies, on fait plus appel aux bénévoles. Là, on va vers des catastrophes ! » Le Collectif des associations citoyennes redoute la suppression de 25 000 à 30 000 emplois.

« On est très inquiets, car quand les subventions se tarissent, il y a peu d’alternatives », ajoute Mme Bellaoui : avec la crise, l’appel à la générosité publique devient aussi plus difficile. Quant aux entreprises privées, elles limitent également leurs contributions.

 Denis Cosnard 
 Journaliste au Monde

Source : le Monde Economie